Un congrès laisse des traces, pour chacun, pour l’École. Ce moment unique où tous les deux ans, l’AMP réunit les psychanalystes du monde entier, se prolonge, au un par un, et dans l’École, pour creuser le sillon lacanien. Et ce ne fut pas une mince coïncidence que ce XIVe Congrés «Tout le monde est fou» se soit tenu quelques jours après la parution du Séminaire XV, L’acte analytique. Ce fut l’occasion de célébrer «Lacan au présent», et de situer le rassemblement des psychanalystes dans l’AMP comme une conséquence du combat de Lacan, dont témoigne son Acte de fondation.
Le « être ensemble», notre mitsein dans un congrès de l’AMP, a une portée spéciale. Travailler avec les autres prend ici la vraie valeur de l’altérité. Ce qui semblait incarner le lointain, d’autres pays, d’autres écoles, devient le plus proche. Mettre à l’épreuve les résultats de sa pratique, en les faisant reconnaître, en s’adressant à l’Autre. Et on sait avec Lacan, que faire exister l’Autre, est le seul remède à la morosité ambiante. Cet effort vers l’altérité est porté ici à une puissance supérieure : apprendre à parler toujours mieux de notre pratique.
Les simultanées cliniques, à l’encontre des préjugés qui déconceptualisent la clinique, ont mis en exergue la dépathologisation lacanienne en montrant qu’elle n’efface pas la structure de langage, tout en mettant en relief les arêtes du mode de jouissance. Le terme de folie y a retrouvé du lustre, en un temps où notre société la méconnaît. Dans les années 30, Lacan abordait la folie comme une forme de l’expérience vécue, et faisait valoir ce qu’a d’incontournable l’Erlebnis du patient, ce qui veut dire très exactement ne pas aborder la folie comme un déficit. Retrouver ainsi la veine existentialiste de ce Lacan, s’avère d’autant plus salubre en un temps où l’on tend à se passer de la valeur de l’expérience, au profit de l’imposition d’une langue ou d’interventions directes sur le corps, en court circuitant les pouvoirs de la parole.
Si la déclamation Moi, la folie je parle qu’Érasme dans son Éloge de la folie a placé dans la bouche d’une femme, est restée inoubliable, c’est qu’au-delà d’une satire du monde, «elle passe les limites du discours universel, elle introduit un mode de dire inouï. Y voir une anticipation sensationnelle de l’association libre, est-ce excessif ? Pourtant, être en analyse, qu’est-ce d’autre que d’avoir licence de déconner ?» comme l’avance J.-A Miller.
Le goût, le plaisir affiché d’Érasme pour «tout ce qui me vient sur la langue», l’Einfall freudien pourrait-on dire, n’est ce pas ce qui est mis à l’expérience à tous les niveaux de ce Congrès ? Extraire la parole des analysants, de la gangue du discours, de l’idéologie, de l’air du temps ?
Tout empreint de cette expérience récente, notre regard se tourne déjà vers l’horizon 2026. Avec «La femme qui n’existe pas», une nouvelle série de trois titres du Congrès de l’AMP a commencé. Un second aphorisme «Tout le monde est fou» a suivi pour donner son titre au XIVe Congrés.
C’est la forclusion du signifiant de la femme qui justifie la proposition de Lacan Tout le monde est fou. La psychanalyse fait objection à toute idée de santé mentale : l’harmonie n’est jamais de mise pour l’être parlant. Il y aura toujours une inadéquation du réel et du mental. Freud l’a désigné par l’ombilic du rêve : le refoulement primordial est inéliminable parce que le sexuel n’a pas de solution signifiante. Lacan l’a nommé avec cet aphorisme radical : il n’y a pas de rapport sexuel
En toute logique, ce troisième aphorisme de Lacan s’est imposé pour donner son titre au XVe Congrés de l’AMP.
1 « Lacan au présent »
2 Cf., a nouvelle édition de l’Éloge de la folie, en version bilingue, avec en marge les notes d’Érasme traduites pour la première fois : Érasme de Rotterdam, Éloge de la folie, Les Belles lettres, 2023.
3 Cf., Miller J.-A., « Choses de finesse », L’orientation lacanienne, inédit.