Angelina Harari — Bonjour à l’ECF ! J’aimerais tout d’abord vous remercier pour votre accueil et notamment pour la mise à disposition du local et de l’équipe technique pour la réalisation de cet entretien. Bonjour Éric Zuliani, Anaëlle Lebovits‑Quenehen et Patricia Bosquin‑Caroz. Merci d’avoir accepté l’invitation deMondo dispatch, publicationonlinede l’Association mondiale de psychanalyse (AMP), qui inaugure son premier numéro avec l’École de la Cause freudienne (ECF) et la question cruciale qui se joue en ce moment dans la vie institutionnelle de votre École, c’est-à-dire la passe. Le texte de cet entretien est publié dans la rubrique «Panorama des Écoles», consacrée chaque fois à une École. Son contenu a été pensé pour un format numérique.Mondo dispatchcomporte deux textes : la lettre de la présidente de l’AMP, soit un éditorial rédigé par Christiane Alberti et puis le » Panorama des écoles » qui publiera une interview auprès d’une École dans chaque numéro. Je m’adresse, respectivement, au président de l’ECF, à la vice-présidente de l’ECF et au plus-un du cartelad hocdu Collège de la passe.
Je vais d’abord vous poser, à tous les trois, des questions cruciales sur la passe. Pour aborder l’actualité de la passe à l’ECF, revenons sur la récente convocation du Collège de la passe, avec une trentaine de personnes qui se sont réunies plusieurs fois et qui ont examiné les ressorts et les raisons de cette crise. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire des ressorts et des raisons de cette crise? La crise est-elle terminée?
ÉricZuliani — Je voudrais d’abord dire que j’ai comme littéralement plongé dans ce Collège, n’ayant pas pratiqué le dispositif de la passe et entamant mon mandat de président. Je crois que la passe s’était réduite, contractée, ces dernières années, à une seule chose : le témoignage. Ce sont justement les témoignages qui ont eu lieu lors des 51e Journées de l’École qui donné l’occasion de la crise, interprétée comme telle par Laurent Dupont en convoquant le Collège. Il y avait une seconde chose aussi, c’est que la passe était très coupée de l’École. J’ai été secrétaire de l’École, dans le Directoire depuis 2014, j’allais devenir président en décembre 2021, et la passe, je ne la saisissais qu’à partir des témoignages ; je ne voyais pas bien le lien qu’il y avait, d’une certaine manière, entre le Directoire et la passe. Et tout le travail du Collège – je finirai sur ce point – a consisté à déplier la passe pour apercevoir à nouveau tous les éléments de sa procédure, et il y en a beaucoup, d’une certaine manière. Voilà ce que je peux dire sur quelques-uns des ressorts de la crise de la passe.
Patricia Bosquin-Caroz— Pour ma part, ce que je peux dire concernant ce qui a provoqué la crise de la passe, c’est qu’il s’agit aussi d’une question que je me pose et que je me suis posée quand j’ai écrit sur le Blog : est-ce que ce à quoi on a assisté lors des 51e Journées, finalement, est un événement exceptionnel, celui d’entendre une inauthenticité de la passe ? C’était une première. Dans certains témoignages, pas tous, il y avait une passe. J’avais dit à quelques collègues : « J’ai l’impression d’entendre des comptes-rendus. » Autrement dit, ce qui manquait, c’était l’énonciation de la passe. Je précise : pas pour tous. Et pour certains, c’était un choc. Je pense que, là, ça a été révélateur de quelque chose de dysfonctionnel – en tout cas, selon moi et selon d’autres collègues qui étaient sur place, et avec qui nous avons échangé directement sur cette question. C’est un révélateur qui s’est installé petit à petit, sur dix ans. Cela a glissé. On pourrait dire que la question de l’énonciation de l’analyste de l’École (AE), de la particularité d’une nomination, a été abrasée par le fait qu’on a commencé, en effet, à admettre dans le dispositif de la passe des personnes qui n’auraient pas dû s’y présenter, ou y être acceptées, en tout cas. On a ainsi commencé à accueillir une diversité de témoignages et, enfin, de transmissions.
Angelina Harari—Des questions concernant l’admission dans le dispositif?
Patricia Bosquin-Caroz — J’ai appelé cela, dans un des textes qui a été publié sur le Blog, « la passe multi-usage ». Au fond, on fait la passe pour obtenir un avis sur la question transférentielle, sur une impasse transférentielle, ou pour obtenir un point de capiton d’une analyse très longue dont on n’arrive pas à sortir – enfin, différentes choses –, et tout cela a sa valeur clinique.
Angelina Harari — Peut-être un mot sur le Blog de la passe ?
ÉricZuliani — Ce Blog de la passe a été une aventure. Il a été initié par Laurent Dupont, qui finissait son mandat. Puis le nouveau Directoire a pris le relais à partir de janvier 2022. C’était très intéressant ce Blog de la passe et ce fut un élément essentiel dans le dispositif de travail sur la crise de la passe. Il y avait le Collège qui travaillait régulièrement, et ce Blog, ouvert aux membres de l’École et qui accueillait leurs textes. Il y a eu deux périodes : d’abord la période, disons, d’analyse de la crise, de mise au jour des ressorts de la crise ; puis, à partir de mars-avril, il y a eu un second temps du Blog, sous l’accent du « lion [qui] ne bondit qu’une fois», parce que le Collège avait proposé un projet de nouveau règlement avec une pièce maîtresse sur laquelle on reviendra, qui est: «On ne fait la passe qu’une fois.»
Il y avait donc la participation des membres, parallèlement au travail du Collège, à la réflexion sur la passe. On y a pris des textes de qualité qui examinaient les ressorts de cette crise. Puis les perspectives, dans un deuxième temps du blog – temps sur lequel je reviendrai –, qui a été très intéressant et qui a mené le collectif de l’École jusqu’à la conférence décisionnelle. Et, évidemment, de ma place, faire les éditoriaux de tous ces Blogs m’a beaucoup appris sur la passe, son histoire, etc.
Angelina Harari — Nous allons donc vers une autre question : que peut-on dire des tendances récentes concernant l’orientation de la passe au-delà de la limitation des témoignages ?
Patricia Bosquin-Caroz — Peut-être l’orientation pourrait être celle de revenir à l’énonciation de la passe. Ce n’est pas sans la nouvelle mesure qui a été décidée au Collège – je m’adresse là à mes deux collègues – concernant « on ne fait la passe qu’une seule fois ». Dans le fond, il s’agirait de revenir à un élan, on peut dire énonciatif, de la passe, et pas à la complétude d’une transmission qui s’appuierait exclusivement sur des énoncés. Ce n’est pas que la passe a étéçanon plus ces derniers temps, mais il y avait un risque dans la répétition de la demande d’entrer dans la procédure. Un risque, en effet, de rabattre la passe sur ces énoncés. C’est donc revenir, d’une certaine façon, à cette authenticité, à cet élan.
Angelina Harari — Donc, l’élan change ?
Anaëlle Lebovits-Quenehen — C’est l’élan qui est articulé à la sortie de l’analyse et donc à la passe conclusive. Patricia a fait valoir tout à l’heure qu’il y avait, comme ça, une sorte d’usage de la passe, tellement multiple qu’on pouvait s’y perdre, et que, par ailleurs, la Commission avait beaucoup de travail, puisqu’elle laissait entrer des passants sur des critères trop peu restreints. Ayant davantage de candidats, la Commission avait en effet un travail très important. Sans doute le temps consacré à chaque passe s’est-il, du coup, un peu réduit. Avec le travail du Collège, il y a vraiment eu un recentrage sur la fin de l’analyse, le passage à l’analyste, avec l’idée que la Commission de la passe doit vraiment se centrer là-dessus et non plus recevoir toutes sortes de demandes qui peuvent, par ailleurs, lui être adressées.
Angelina Harari — Donc, « la passe une fois » aura aussi un effet sur la Commission, dans le sens où…
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Dans le règlement, est articulé à « la passe une fois » le fait que la directrice de la passe fera très attention à qui entre dans le dispositif, de façon à ce que des personnes qui n’auraient pas à y entrer ne brûle pas leur cartouche. Les candidats seront, d’une certaine manière, filtrés à l’avance, et cela permettra, dans un second temps, si ça se présente à nouveau pour eux, et que c’est plus indiqué, de pouvoir se représenter.
Patricia Bosquin-Caroz — Dans le fond, Anaëlle, vraiment, j’entends quelque chose de nouveau aujourd’hui ! Il faut bien dire que « la passe une seule fois » a été voté à la majorité large, mais ça n’a pas été sans faire débat. Ce n’est pas passé muscade, comme on dit – je dirai un mot à ce propos. Il y a des personnes qui se sont prononcées lors de cette conférence décisionnelle pour s’opposer à ce principe. Bon, moi, j’entends ici quelque chose de nouveau : « la passe une fois » oui, mais on peut se présenter plusieurs fois auprès du directeur de la passe. Donc, finalement, c’est une chance.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Exactement !
Patricia Bosquin-Caroz — C’est une chance, parce que si on y entre, si on nous laisse entrer, c’est…
Angelina Harari — La conférence décisionnelle, a été le moment où le règlement de la passe à l’ECF a été approuvé, c’est bien cela ?
ÉricZuliani — Tout à fait.
Patricia Bosquin-Caroz — Donc, c’est donner, à la limite, plus de chances aux candidats de réussir – je n’aime pas trop ce terme, mais, quand même, c’est une épreuve.
ÉricZuliani — Il y a quelque chose que je veux dire. Lacan a créé une École, et ce qui m’est apparu, c’est que la passe comme l’École sont deux concepts que Lacan a introduits, et qui sont, de mon point de vue, d’égale valeur. Cette égale valeur s’était un peu perdue, c’est-à-dire que la question de la passe et du témoignage avait pris peut-être un peu trop de place ; et, d’une certaine manière, on ne voyait plus le lien avec l’École. En 1964, Lacan trace la voie d’entrée du travailleur décidé. Et en 1967, il trace celle de la passe. Quand il introduit cette question de la passe, il me semble qu’il ne la pense pas à partir des impétrants, c’est-à-dire de ceux qui feraient la passe, mais à partir de l’École. Or, dans le débat sur le Blog, la seconde partie du débat autour de « la passe une fois » était intéressante pour cela. D’abord, le ton des textes ne prenait pas le tour d’une opposition entre lespour oulescontre, c’était plus subtil que cela. Il y avait, en fait, une indécision. J’ai alors aperçu que d’avoir appelé la conférence «décisionnelle», impliquait qu’il y ait une décision à prendre ce jour-là. Et en effet, soit on prenait la décision du point de vue de l’impétrant, de celui qui veut demander à faire la passe, et alors là en effet, «la passe une fois» apparaissait un peu dur. Soit on pense, cette «passe une fois», à partir de «quel type de passe a besoin l’École», et alors là, c’est plus évident. Un peu plus de 90% ont voté pour – Anaëlle le disait, au fond, c’était plus par confiance dans le travail qui avait été fait par le Collège, une confiance en l’École, et on a eu des témoignages de personnes qui étaient indécises jusqu’au bout…
Anaëlle Lebovits-Quenehen — C’est, bien sûr, une confiance dans le Collège, mais le Collège a produit des arguments très valables, qui ont permis de soutenir cette confiance.
Angelina Harari — On avance vers ces arguments-là. Peut-on faire un rapprochement entre l’inflation des témoignages de passe dans les événements et la « montée au zénith» de l’objetadans la société de consommation où leparlêtredevient lui-même un objet sacrifié à la valeur du spectacle?
Patricia Bosquin-Caroz— Ça vous inspire ?
Éric Zuliani— Oui, tout à fait. Je pense que c’est en lien avec ce que j’ai rappelé à l’Assemblée générale, vendredi dernier. C’était un propos de Patricia dans les premiers temps de l’analyse des ressorts de la crise. J’ai été frappé par la manière dont elle a amené cela, sous la forme d’une question qui était: «Est-ce que l’air du temps a pénétré le dispositif de la passe?» Pourquoi avait-elle dit cela? Il me semble, pour en avoir parlé avec elle, que c’est parce que l’air du temps, c’est la question du spectacle. D’ailleurs, le Blog a commencé par un texte, celui de XavierGommichon, sur cette question du spectacle: «La passe, a-t-elle rejoint la subjectivité de l’époque non pas pour l’interpréter, mais pour, d’une certaine façon, s’y diluer?», demandait Patricia et elle se centrait sur les témoignages à ce propos…
Patricia Bosquin-Caroz — L’effacement de l’énonciation singulière et authentique de la passe qui, évidemment, était caractéristique lors des 51e Journées. Enfin, on revient à cette dimension. Finalement, le collègue qui a écrit sur le Blog a aussi parlé de cette dimension du spectacle. Vous vous souvenez ? La dimension de l’escabeau, de se raconter soi-même, et une espèce d’autosatisfaction aussi.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Il me semble qu’il y a eu trois éléments. D’abord, il y a eu la grande quantité de témoignages ; ensuite, comme tu le soulignes, Patricia, la question de l’énonciation, qui n’y était pas toujours – donc ça concerne la qualité d’un certain nombre de témoignages, mais la qualité au regard de la quantité aussi, qui a, sans doute, favorisé le fait…
Patricia Bosquin-Caroz — Absolument, la quantité !
Anaëlle Lebovits-Quenehen — … qu’on s’en aperçoive. Il faut associer sans doute à cette question de la qualité et de la quantité des témoignage un troisième élément. C’est ce que disait Éric à l’instant : on n’a pas du tout discuté les témoignages. Lors de ces Journées, les choses étaient ainsi faites que les témoignages ont été présentés les uns à la suite des autres, sans discussion. Si bien que cela aussi rejoint, peut-être, la subjectivité de l’époque, c’est comme si on supposait à l’AE, même fraîchement nommé, un savoir définitif et bouclé sur lui-même concernant ce qu’il avait lui-même exposé, et que dès lors, on pouvait se passer de discuter son propos, de l’interroger.
Angelina Harari — Un effet l’AEdixit?
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Il me semble que la crise a démarré sur la combinaison de ces trois éléments. Le troisième tenant au fait qu’à un moment, il n’y avait même plus cette idée qu’on allait offrir à l’AE – parce que, au fond, c’était aussi quelque chose qu’on lui offrait – quelqu’un qui vienne discuter, interroger, souligner, extraire des points, aller au-delà de ce qu’avait pu livrer le témoignage. C’était comme si le témoignage se bouclait sur lui-même, que sa vérité y était incluse et définitivement acquise. La discussion, quand il y en avait une, permettait d’extraire des éléments cruciaux et très intéressants, non seulement pour l’AE lui-même – beaucoup en ont témoigné –, mais aussi pour la communauté de travail à laquelle s’exposent ces témoignages.
ÉricZuliani — Il y a ce côté : « Je suis ce que je dis ». Et comme on sort des 52e Journées de l’ECF, qui viennent d’avoir lieu, d’une certaine manière, ce « Je suis ce que je dis », que nous avons mis au programme de ces Journées, est une réponse. C’est peut-être une interprétation, on verra, du fait que l’École – ça, je voudrais insister là-dessus aussi – a mis les AE dans cette configuration.
Patricia Bosquin-Caroz — Oui, c’est très important. L’AE est mis en scène par l’École. Ce n’est pas l’AE tout seul, autoproclamé, qui s’impose dans une Journée. On lui donne cet escabeau. En même temps, aux avant-dernières Journées, il y avait tellement de témoignages qu’ils étaient réduits à dix minutes. En dix minutes, il n’y avait pas de temps pour la discussion. Donc, on est tous responsables de ce qui s’est produit là. Ce n’est pas l’AE seul. Il a fait ce qu’il a pu avec le temps qui lui était imparti. Je parle des AE authentiques, car on en avait des énonciations quand même. Ainsi, on voit bien que l’AE est de l’École, qu’il n’est pas tout seul. C’est donc une crise qui interprète l’École elle-même.
Angelina Harari — J’ai une autre question. Récemment, au Brésil, Laurent Dupont a commenté l’équivoque, en français, de l’expression « interprète de l’École ». Est-ce que la passe est l’interprétation de l’École ou est-ce l’École qui est interprétée par la passe, ou bien les deux ? Comment comprendre l’énoncé « l’AE interprète de l’École » ? Et qu’est-ce qu’interpréter l’École ?
Anaëlle Lebovits-Quenehen— J’avais proposé cela, dans le Blog de la passe, au tout début, que justement, à défaut que les AE interprètent l’École, c’était l’École qui avait là interprété la passe. Il est vrai qu’on attend ça des AE. Alors, tu as bien raison de poser la question : Qu’est-ce que ça veut dire au juste ? On attend des AE qu’ils interprètent l’expérience de l’École. Il y a sans doute plusieurs façons de l’entendre, mais une première, assez basique, est de considérer que, quand il y a un malaise dans l’École, la place des AE est de s’autoriser à le nommer, d’abord. Puis, l’interpréter veut dire : permettre de s’y retrouver, lui donner un sens qui permette de saisir quel est le point traité par ce malaise, le point qui est refoulé ou mis de côté, et dont on se défend. Quel est le réel en jeu au fond ?
Angelina Harari — Nous sommes avec des instances : le président, la vice-présidente de l’ECF. Je pense qu’il y a une différence entre « l’AE interprète de l’École » et les fonctions dans une École.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Tout à fait. C’est justement en tant qu’il n’est pas pris dans une telle fonction… Il s’agit de pouvoir interpréter l’École sans être dans les fonctions du Directoire et de présidence, etc.
Angelina Harari — Dans une fonction, il faut toujours, disons, être ouvert à la contingence et décider, trancher, mais ce n’est pas la même chose.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — C’est tout à fait différent, mais disons qu’une des façons d’interpréter, c’est déjà de pouvoir nommer, et ensuite, dans un second temps, permettre de s’y retrouver dans ce qui constitue le malaise. Il y a encore deux autres façons d’entendre ceinterpréter. Cela pourrait consister à se saisir d’un phénomène de civilisation, qui peut éventuellement mettre en danger le discours analytique et à côté duquel on serait passé. Un exemple récent est la question de l’interprétation dont Jacques‑AlainMiller montre qu’elle est précisément en danger dès lors qu’on ne peut plus interroger tel ou tel type de personne, parce que le sujet de droit l’emporterait sur toute question possible. Ce serait une autre façon d’interpréter l’École, me semble-t-il. Et puis, il y a peut-être aussi la question de la production du savoir dans l’École.
Patricia Bosquin-Caroz — Je voudrais revenir sur la question d’Angelina concernant « l’AE interprète ». J.‑A. Miller fait quand-même remarquer que ça fait très longtemps qu’on attend que l’AE interprète ; faut-il encore attendre que l’AE interprète ?
ÉricZuliani — Oui, tout à fait.
Patricia Bosquin-Caroz — J.‑A. Miller a soulevé cette question et je me dis, finalement, qu’il y a beaucoup d’autres personnes qui, sans être AE, ont interprété l’École jusqu’à présent. Dans le Journal des 38e Journées de l’ECF, je me souviens d’une personne qui interprétait la crise de la passe qui s’annonçait. Ce n’était pas un AE, c’était même une personne qui n’avait pas été nommée. Et, de cette place, elle a interprété l’École. Alors, « l’AE interprète », il faudrait quelque chose qui se passe pour arriver à…
Angelina Harari — Donc, une non-nomination aussi est à la hauteur, disons, du dispositif.
Patricia Bosquin-Caroz — C’est mystérieux… Qu’est-ce que c’est l’AE qui interprète ? Peut-être faudrait-il revenir à ce que c’est qu’un AE interprète de l’École. Il doit y avoir, au départ, un transfert à l’École, un transfert très décidé, si je puis dire – du moins à la psychanalyse. C’est peut-être quelque chose qui était moins présent. Enfin, peut-être cela s’est-il dilué, cette question du transfert à l’École, c’est-à-dire le moment où chute le transfert à l’analyste dans la fin de l’analyse, ce qui devrait être vérifié par le secrétariat de la passe, par exemple. On ne fait pas la passe juste pour soi. Il y a une articulation à l’École.
Éric Zuliani— C’est-à-dire qu’il pouvait y avoir, dans certains cas, un transfert à «ma passe», à «mon témoignage», à «mon histoire», un témoignage qui se répétait beaucoup pendant le mandat de trois ans et on n’apercevait pas tout le temps le transfert à l’École. C’est ce que je disais au début: le concept d’École est tout aussi important que celui de passe.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — D’ailleurs, AE veut dire « analystedel’École», il ne faut pas l’oublier. Je répondais quand-même à Angelina, qui demandait: qu’est-ce que c’est être interprète de l’École? Il est vrai que J.‑A.Miller a noté qu’on n’avait pas beaucoup vu cela. Néanmoins, on peut répondre à la question:Qu’est-ce que serait «interpréter l’École»?, même si ce n’est pas, en effet, vérifié par l’expérience. D’ailleurs, c’est une réponse qui n’est sans doute pas définitive.
Je voudrais juste moduler un peu ce que dit Éric quand il met l’accent sur le témoignage. Cela n’a sans doute pas empêché que des AE soient très authentiquement au travail. Mais il me semble que la forme du témoignage, si répétée, si répétitive, notamment quand elle devient la seule façon dont un AE s’exprime tout au long des deux ou trois ans de son enseignement, peut faire écran aux productions parfois très valables qui s’y trouvent et qu’on ne voit même plus, tant leJe– la première personne du singulier – y fait écran.
Angelina Harari — Peut-on déjà les voir, les modifications de l’enseignement de la passe dans l’ECF, à la suite du nouveau règlement approuvé par les membres ? Peut-on prévoir déjà les modifications de l’enseignement ?
Patricia Bosquin-Caroz— Je vous laisse répondre, parce que vous avez des idées sur la question.
ÉricZuliani — C’est plus qu’une idée, puisque c’est d’abord la création d’une Journée appelée « Les entretiens sur la passe », qui aura lieu le 17 juin 2023, et qui sera entièrement consacré à la passe. Il y a quelques années, j’ai eu la chance d’assister à ce type de Journée. Jemontaisà Paris –comme on dit quand on habite en province– pour assister à des Journées entières sur la question de la passe, où il n’y avait pas que les AE qui intervenaient – il y avait aussi le jury qui témoignait de son travail. Donc, il y avait tout un ensemble d’analystes qui participaient au dispositif de la passe et qui en transmettaient quelque chose. Car il n’y a pas que la question des AE, il y a aussi la question de l’enseignement des acteurs du dispositif lui-même.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Il y aura aussi des soirées d’enseignement qui devraient changer dans leur forme, puisqu’au lieu que ce soient tous les AE qui interviennent en même temps, la soirée sera faite plutôt sur la proposition d’un AE en particulier. Il y a un certain nombre de soirées qui sont prévues à cet effet, et un AE peut venir dire : « Je voudrais pouvoir faire tel enseignement ce soir-là. » Voilà quelque chose qui, sans doute, sera très intéressant. On disait que, peut-être, les discussions avaient manqué à la suite des derniers témoignages. Ce serait passionnant que ces soirées trouvent à accueillir du débat. Ces soirées en particulier, mais je crois d’ailleurs que c’est vrai, d’une façon générale, de tout enseignement : dès lors qu’il y a des questions, des difficultés qui sont exhibées plutôt que lissées, c’est toujours passionnant, mais peut-être en particulier quand un AE produit un savoir.
ÉricZuliani—Ce qui est intéressant, c’est que, là, on aperçoit l’importance de l’AE comme interprète de l’École. Il est aussi interprète des problèmes cruciaux que rencontre l’École –Anaëlle donne l’exemple de l’actualité de l’interprétation. Il s’agit, au fond, d’attendre d’un AE, au-delà de son témoignage, ce qu’il saisit des problèmes cruciaux qui sont souvent à la jointure entre problèmes psychanalytiques, questions d’École et questions d’époque.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Saisir les points vifs où ils sont. Au fond, je me dis qu’un AE peut bien faire quelque chose qu’un non-AE peut faire aussi, par exemple enseigner. Néanmoins, dans l’élan où il est, dans l’élan de la fin de l’analyse, du passage à l’analyste et de l’acte de se présenter à la passe, puis d’être nommé AE, peut-être y a-t-il quand même une sorte de « jeunesse » intrinsèque de l’AE, qui fait qu’il peut faire les choses autrement.
Patricia Bosquin-Caroz— Est-ce qu’on ne peut pas dire que certains témoignages – le premier témoignage par exemple –, sont aussi une interprétation de l’École et, en tout cas, de la psychanalyse ? L’AE est supposé amener quelque chose de nouveau, parce que c’est quand même sur ce point-là qu’il est nommé. Si on prend la passe comme ayant la structure de witz, on attend quand même cette trouvaille, cette invention, car de quoi y fait-on la démonstration ? Il n’y a pas de rapport sexuel. Oui, mais qu’est-ce qu’on invente ? C’est là qu’il peut aussi y avoir une interprétation de l’École, par le témoignage.
ÉricZuliani — Ne pas être fasciné par la question du témoignage, mais être beaucoup plus attentif à la trouvaille. Il a été nommé, mais sur quoi a-t-il été nommé ? On doit pouvoir le lire.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — De la même façon qu’on peut considérer qu’un témoignage qui n’est pas satisfaisant interprète l’École, d’une façon ou d’une autre, un témoignage satisfaisant le fait aussi, car il dit aussi où en est la passe. C’est un très bon indicateur d’où en est la passe, et donc aussi l’École, parce que l’École est l’École de la passe – notre École, spécifiquement. Et, bien sûr, par ricochet, où en est la psychanalyse aussi.
Angelina Harari— Dans le nouveau règlement de l’ECF, « la passe une fois » provoque des interrogations et des débats dans les autres Écoles de l’AMP. On l’entend comme une règle produite dans un premier temps par la nécessité d’interrompre ce qui est devenu unautomaton. Mais qu’est-ce qui garantit qu’elle ne deviendra pas, à la longue, un autreautomaton, arbitraire?
Patricia Bosquin-Caroz — C’est une vraie question !
ÉricZuliani — Il ne s’agit pas d’interrompre, ce n’est pas ça. Enfin, pour moi, ce n’est pas ça, mais c’est plutôt de revenir à l’esprit de la passe, telle que l’avait voulue Lacan pour son École.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Exactement. Lacan lui-même a pensé la passe une fois, jamais deux. Et J.‑A. Miller a lui-même proposé, dans un souci, a-t-il dit, de justice, qu’on puisse, «éventuellement» la faire deux fois. Et l’expérience nous montre que de deux fois, on passe à trois, puis à quatre et on ne voit pas pourquoi ça s’arrêterait en si bon chemin. Donc, «la passe une fois» n’est pas du tout arbitraire.
Angelina Harari — Vous avez rebondit sur l’arbitraire, mais Patricia a dit : « C’est une vraie question ! » Donc, j’aimerais savoir pourquoi, parce que mes questions sont provocantes.
Patricia Bosquin-Caroz — Quand on voit l’histoire de la passe, quand on regarde celle de l’École, les crises successives, on voit bien que certaines choses sont des inventions à un moment donné, puis on tombe très vite dans la routine.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Là, c’est au-delà de la routine, Patricia. J.‑A. Miller avait dit « deux fois » et on est passé à quatre. C’est exponentiel !
Patricia Bosquin-Caroz — Qui nous garantit qu’on ne va pas tomber dans une certaine routine ? Et cela va dépendre de la façon dont on va être et rester éveillé à toutes ces questions, parce qu’on peut très bien – ce ne sera pas le cas maintenant, mais dans quelques années –, se trouver avec – pourquoi pas – un secrétaire de la passe ou un directeur de la passe qui fait cela d’une façon très automatique : « Non, une seule fois ! » On ne sait pas ce qui peut arriver…
Angelina Harari — Je pose une autre question, qui peut aussi avoir un lien intéressant avec cela. Par le passé, un certain nombre d’AE avait été nommé en se présentant deux fois à la passe, et dans d’autres Écoles, parfois trois et même quatre fois. Avec « la passe une fois », l’École ne risque-t-elle pas de se priver d’un enseignement d’une grande richesse ?
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Il me semble qu’on a un peu répondu à cette question en disant que le filtrage par la directrice de la passe tient compte de « la passe une fois ». Donc, il est probable que dans l’optique de « la passe une fois », elle soit beaucoup plus attentive à qui entre ou pas dans le dispositif, si bien que peut-être les gens qui ont autrefois été nommés au bout de deux fois, aujourd’hui, ne seraient pas entrés la première fois, mais uniquement la seconde fois. Ainsi ne sera-t-on pas privé de les entendre. Ce point est présent, et rédigé exactement en ces termes dans les arguments.
Patricia Bosquin-Caroz — Je pense que c’est très important de le dire, parce que cela n’a pas été entendu comme tel, mais, en effet, c’est une forme de garantie, finalement.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — En tout cas, une attention – une garantie on ne sait pas, parce qu’en effet on n’est jamais complètement sûr – mais en tout cas, une grande attention.
Patricia Bosquin-Caroz — C’est dire : « Ce n’est pas le moment », « Ce n’est pas encore », voilà, « Encore un effort », mais c’est vrai que ça n’empêche pas celui qui est décidéàfranchir le pas de la passe de le faire.
Anaëlle Lebovits-Quenehen— Exactement !
Angelina Harari — Vous avez répondu à la question : « Comment voyez-vous la fonction du directeur de la passe ? » Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Le directeur est présent à tous les niveaux du dispositif. On ne va pas entrer dans le détail, parce qu’on pourrait y passer une heure, mais il me semble que la fonction essentielle, outre celle-ci qui est évidemment cruciale, est de pouvoir identifier un responsable et un interlocuteur pour ce qui concerne la passe.
ÉricZuliani — Dans le travail du Collège qui s’est prolongé sur plusieurs mois, de janvier à octobre 2022, on a aperçu le mouvement de réflexion après l’analyse des ressorts de la crise. Dans le projet qui a été rédigé, proposé et travaillé par le Collège, la fonction de directeur a pris beaucoup d’importance et on en comprend la logique. Cette montée en puissance de la fonction du directeur de la passe va avec le « on ne fait la passe qu’une fois ». C’est-à-dire qu’il y a une précaution maintenant, tout un travail d’entretien du directeur avec l’impétrant, par exemple. Mais au-delà, il est très frappant que le directeur ait à s’entretenir, non seulement avec ceux qui demandent à entrer dans le dispositif, mais aussi avec les analystes membres de l’École (AME), les passeurs, les plus-uns des cartels, le directoire, etc.
Patricia Bosquin-Caroz — Je voudrais ajouter que c’est une grande nouveauté, parce qu’avant, il y avait une séparation entre la passe, le dispositif, la Commission… entre tous ces dispositifs et le Conseil, le Directoire de l’ECF. Maintenant, est-ce que vous pouvez dire quelque chose sur ce lien qui est nouveau, enfin, qui en tout cas, est réactualisé ?
ÉricZuliani — D’abord, pour avoir eu l’expérience de ce lien comme secrétaire du Directoire sous la présidence de Patricia et de Christiane, c’était un lien très ténu, discret, pas toujours facile. Il est devenu beaucoup plus léger, beaucoup plus simple, car on est déjà entré en conversation avec la directrice de la passe. Qu’est-ce que je peux dire d’autre ?
Patricia Bosquin-Caroz — Mais, par exemple, le directeur est inclus dans le Collège. Ça, c’est une nouveauté aussi.
ÉricZuliani — Alors, il y a une nouveauté avec ce nouveau règlement. Le Collège se réunira dorénavant régulièrement, c’est-à-dire qu’il est aussi devenu une pièce maîtresse, une instance du travail d’École.
Angelina Harari — Cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de Collège de la passe. Pourquoi n’avait-il pas été convoqué depuis si longtemps ?
ÉricZuliani — Il y en avait eu un il y a douze ans, mais qui n’avait pas été probant, et qui n’avait pas fonctionné. Donc, cela faisait très longtemps qu’il n’avait pas été réuni. Je me demande pourquoi, parce que le Collège qu’on a connu et qui a travaillé pendant tous ces mois, a produit un travail passionnant. C’était vraiment un travail d’École.
Patricia Bosquin-Caroz — Et c’est un Collège qui émane d’une crise. Et la crise, c’est vivifiant, alors que les Collèges précédents étaient tombés dans une espèce d’automatonde la réunion et, en même temps, très coupés de l’actualité de l’École.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — J’ai quand même cru comprendre – je n’y étais pas, bien sûr – qu’il y avait eu des Collèges émanant de crises précédentes qui avaient été moins… Éric Laurent a noté que lors du dernier Collège la tenue des discussions, des débats et le travail qui avait été fourni étaient assez exceptionnels et pas tellement représentatifs de l’ambiance des précédents Collèges de la passe. Nous avons eu une chance formidable. Disons que celui-ci a l’air d’avoir été innovant quant à la qualité des échanges qui y ont eu lieu.
ÉricZuliani — La crise des années 1990, É. Laurent l’évoquait en effet, indiquant cette différence qu’il semblait percevoir dans ce Collège-ci.
Angelina Harari — Et tu disais que, dans le nouveau règlement, la convocation du Collège de la passe est régulière – ce qui veut dire ?
ÉricZuliani — Tous les deux ans.
Patricia Bosquin-Caroz — C’est quelque chose qui a été changé par rapport aux précédents règlements, où le Collège pouvait être sollicité ou interpellé, mais ce n’était pas inscrit dans une régularité.
ÉricZuliani — Le règlement de la passe a été constitué en 1982, je crois, pour le premier, et il a très peu, très légèrement bougé jusqu’à 2015 – la dernière fois qu’il a été modifié. Enfin, cela m’a fait drôle de voir ce projet, la manière dont il s’est constitué. Il est très différent dans sa rédaction, il est très différent du règlement qui avait cours depuis 1982. Cela m’a frappé.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Il inclut en lui-même le principe de la différence, en ce qu’il est évolutif. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Collège de la passe se réunit dorénavant tous les deux ans. C’est précisément pour ne plus attendre dix ans, qu’on en arrive à une crise où, vraiment, le symptôme, qui s’est parfois présenté dès le départ, a tellement grossi que c’est l’éléphant dans la pièce et qu’on ne voit plus le reste. Tous les deux ans, on peut dorénavant reprendre le règlement, l’adapter, le moduler, de façon à essayer de tenir compte des difficultés qui se présentent, puisqu’il s’en présentera nécessairement. Et c’est aussi une façon de lutter contre l’automatonqui menace toujours. L’idée, avec cette réunion très régulière, mais qui laisse quand-même deux ans pour voir ce qui se produit, est de tenir compte de l’expérience.
ÉricZuliani — Par exemple, toutes les fonctions dont on a chargé la directrice de la passe, il faut maintenant qu’elle expérimente ça, il faut voir si c’est tenable aussi pendant deux ans.
Patricia Bosquin-Caroz — Pour qu’on puisse faire un retour à partir de l’expérience.
Angelina Harari — Vous dites : « elle »…
ÉricZuliani — Oui, tout-à-fait. Anne Lysy va être la directrice de la passe. Et donc, le Collège devient un lieu où l’on peut, finalement, parler de l’expérience, tant pour les plus jeunes que pour les membres des cartels. C’est un lieu nécessaire pour ne pas attendre que se cristallise un problème.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Oui, s’y poseront toute sorte de questions : sur le filtrage des passeurs, lesextimes, pourquoi pas la question des témoignages: est-ce qu’on va en manquer, ou est-ce que, finalement, il y en aura toujours autant?, etc.
Angelina Harari — Et la dernière question sur la passe, : pouvez-vous nous dire quelque chose de la façon dont la Commission de la passe a reçu le malaise suscité par les premiers témoignages des AE qu’elle avait nommés lors des journées de l’ECF en 2021 ? Pouvez-vous dire un mot chacun sur ce sujet ?
Éric Zuliani— Écoute, je crois que – j’insiste à nouveau sur ce point– l’École s’est fait responsable de la crise en l’interprétant et en convoquant ce Collège. Cela est allé très vite. Alors, pourquoi je dis ça? Parce que, du coup, à l’intérieur du Collège, je crois que tout le monde a consenti au fait qu’il y avait un problème. L’examen s’est fait assez vite, et des textes ont été très vite publiés dans le Blog à ce propos: c’étaient les fameuses et opérantes «Cinq minutes»: les trente-deux membres du Collège, en un tour de table de Z à A…
Angelina Harari — À l’inverse ?
ÉricZuliani — À l’inverse, voilà ! Les membres du Collège ont produit cinq minutes sur cette question : pourquoi on est là et qu’est-ce qui s’est passé ? Cela a été publié sur le Blog très rapidement, témoignant de manière largement authentique, que tout le monde se faisait responsable de cette crise.
Angelina Harari — Il y avait un compte-rendu des réunions du Collège de la passe qui a été diffusé dans le Blog ?
Éric Zuliani— Tout à fait. Il y a eu des comptes-rendus très circonstanciés, très précis. Il y a eu des communiqués faits aux membres. Disons que ce n’était pas le Collège coupé des membres de l’École. Il y avait la question des membres, mais il y avait aussi un travail interne au Collège. Sur la Commission, je pense qu’elle a vu l’éléphant, pour reprendre cette expression.
Patricia Bosquin-Caroz — Je ne me prononcerai pas à la place de cette Commission. Je ne sais pas comment ils ont reçu ça, auun par un. Bien sûr, ils ont travaillé dans le Collège, on a tous travaillé ensemble, mais on peut quand même souligner –car on parle beaucoup des témoignages– que ce qui a été mis en question, c’est le jugement de la Commission. On a évoqué la question de l’effet de groupe, c’est pour cela qu’on revient à deux cartels et non à une commission, où certains se taisent plus aisément, et d’autres l’emportent par leur verbe. Il ne faut pas oublier ça et puis la fameuse question, quand même, c’est celle soulevée par un des premiers textes de J.‑A.Miller sur la question du discernement et du jugement. Cette commission a été interpellée sur ce point-là.
Angelina Harari — Le premier texte de J.‑A. Miller ?
ÉricZuliani — Celui qui est dans le Blog, celui qui a été publié lors du premier temps du Blog. Cela s’est fait très vite, je crois à la fin janvier 2022.
Angelina Harari — Bon, merci pour la question cruciale de la passe à l’ECF. J’ai encore deux petites questions : Qu’est-ce qui se passe de nouveau dans l’ECF ? Et quelles sont les innovations dans les activités générales de l’École ?
ÉricZuliani — J’ai été vice-président lors du mandat de Laurent Dupont pendant deux ans et la pandémie nous a poussé, forcé – c’était un choix forcé – à l’innovation. Pendant deux ans, il y a donc eu beaucoup d’innovations, ça n’a pas cessé : on s’est principalement doté d’outils permettant de maintenir, au vu de la pandémie, le désir de psychanalyse. Plus récemment et sans doute dans une certaine continuité, on a créé le Campus de l’ECF. Au cœur de l’École, se trouvent des enseignements où l’adresse aux étudiants, disons à l’étudiant, est très forte. Cela a un lien sans doute avec cette réflexion initiée par Christiane Alberti et reprise dans le Directoire, sur la question de la jeunesse, sous l’accent d’une question : comment suscite-t-on leur désir, par cette façon qu’on a de leur parler, enfin de leur proposer des enseignements qui retiennent leur attention.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — C’est vrai que cette question de la jeunesse nous occupe et compte pour nous. Je ne sais pas si c’est une nouveauté, mais c’est une actualité.
Patricia Bosquin-Caroz — Ce n’est pas une nouveauté, parce que cela me préoccupait déjà quand j’étais présidente. Il y a plus de dix ans maintenant.
ÉricZuliani — Je pense que c’est une préoccupation qu’on doit toujours avoir.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — C’est une préoccupation depuis au moins dix-sept ans.
Patricia Bosquin-Caroz — On peut souligner, quand même, Anaëlle, ce qui était nouveau dans ces Journées qui viennent d’avoir lieu. J’ai été vraiment frappée par cette place que vous avez donné à la jeunesse, mais à une jeunesse compétente.
ÉricZuliani — Alors, par exemple, j’ai été très étonné de découvrir hier, dans une des commissions importantes, celle qu’on a appelé « lahotline» – qui s’est occupée des visioconférences du samedi, où il y a eu une espèce de recrutement de proche en proche: des membres de l’École, des membres de l’Association de la Cause freudienne (ACF) et j’ai même découvert des noms de non-membres de l’École et de l’ACF et qui étaient là, hier, en présence à la plénière –car, comme ils avaient participé à l’organisation de ces Journées, nous les avions invités à la Maison de la Mutualité. Cela m’a frappé qu’on ait, comme ça, de proche en proche, des personnes participant à des Journées de l’École, non-membres et étant sur la brèche de demander leur admission à l’ACF.
Patricia Bosquin-Caroz — Oui, il y avait une fraîcheur aussi dans les simultanées, des personnes plus jeunes qui présentent des cas et on voit leur investissement.
Angelina Harari — Et de quelle façon cela a été repris à la fin, avec l’intervention d’Agnès Aflalo, qui était la responsable des simultanées.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Ces simultanées ont connu un très grand succès.
ÉricZuliani — Elle a fait un travail formidable, avec une place donnée aux jeunes.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Et presque un rajeunissement du principe même de ces simultanés, où il était vraiment beaucoup plus question de discussions sur le vif que d’exposer de longs commentaires, etc. Ce qui a été favorisé, c’est la vivacité des échanges. Et pour les échos que nous en avons eus, cela a été une réussite absolument remarquable. Pour la plénière, c’est aussi quelque chose de nouveau qu’il y ait autant de jeunes.
ÉricZuliani — Mais oui, c’est vrai, Patricia, tu y es intervenue ! [rires] J’évoque aussi M.DanArbib, et nos collègues qui ont fait des travaux remarquables, de jeunes collègues, mais bon, pas tout jeune, quand même, et puis…
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Aurélie Pfauwadel, Angèle Terrier, Deborah Gutermann-Jacquet, Alice Delarue… et puis Anne-Lise Heimburguer, Samuel Achache aussi.
ÉricZuliani — Je ne voulais pas les citer, mais…
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Mais c’est vrai qu’une place leur a été faite ! Pour le coup, je ne crois pas qu’on ne se soit jamais posé la question en ces termes, on ne s’est jamais dit : « Il va y avoir des jeunes. » Ce n’est pas comme ça qu’on a pensé la plénière, mais c’est un fait qu’on doit reconnaître.
ÉricZuliani — L’idée de faire une place n’est pas juste.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Comme tu le disais, c’est une jeunesse compétente. On a plutôt pensé de ce côté-là et du côté du thème, etc. On ne s’est pas dit un seul instant : « On va équilibrer. » Cela étant, il est vrai que Philippe La Sagna nous l’a fait remarquer – et cela m’a un peu, non pas interprétée, mais enfin, je n’avais même pas saisi qu’il y avait eu beaucoup de jeunes. Et Philippe en était très heureux et considérait que, sans doute, cela avait participé aussi à la réussite de la journée d’hier.
Angelina Harari — Aujourd’hui, on peut parler de la réussite de la journée d’hier.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — Ce que dit Patricia sur les invités est vrai aussi. Peut-être est-il relativement nouveau de ne pas attendre, en effet – en tout cas, en ce qui concerne Dan Arbib, qui est chercheur – qu’il ait une longue carrière…
ÉricZuliani — Et une très longue barbe.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — … derrière lui avant de pouvoir l’inviter – parce que c’est à ce moment-là que peut-être aussi les chercheurs se font connaître. Mais Dan Arbib a la particularité d’avoir, en quelque sorte, une longue carrière, quel que soit son jeune âge, parce qu’il a déjà beaucoup publié. Cela étant, pour Samuel Achache, qui est un jeune metteur en scène, et Anne-Lise Heimburguer, ils ont aussi, en un sens, une longue carrière à leur façon.
Éric Zuliani— Cette réflexion autour du terme dejeunesse, là, en vous écoutant, c’est à vérifier, mais il me semble que la jeunesse s’obtient d’un mélange subtil entre des jeunes, du coup, mais aussi des membres plus aguerris.
Anaëlle Lebovits-Quenehen — D’autant que la jeunesse c’est un certain rapport à la cause analytique. Bien sûr qu’il y a l’âge, il ne s’agit pas de minorer cela. C’est une composante, mais quand même, la jeunesse du rapport à la cause analytique, l’incandescence pourrait-on dire, du rapport à la cause analytique, c’est ça qui vivifie.
ÉricZuliani — Cela veut dire qu’il faut savoir quels sont les ressorts de cela.
Patricia Bosquin-Caroz— Ou on reste jeune, parce qu’il y a des jeunes qui sont déjà très vieux.
Angelina Harari — Cela ouvre une perspective qui sera pour une autre fois. Merci beaucoup !
Angelina Harari — Cela ouvre une perspective qui sera pour une autre fois. Merci beaucoup !
Relecture: Romain Aubain
Cf. Miller J.-A., «Huit ponctuations sur la crise de la passe»,La Cause du désir, n°111, juin 2022, p.105-106, disponible sur Cairn.
Freud S., «L’analyse finie et l’analyse infinie»,Fin d’analyse, Toulouse, Érès, 2022, p.19.
Lacan J., «Radiophonie»,Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 414.