Le un et le multiple « versus » diversité

Christiane Alberti
10 septembre 2024

L’aggiornamento impulsée par l’AMP a placé au coeur de la réflexion institutionnelle des écoles la dialectique entre le Un et le multiple. Elle se présente différemment en fonction de l’expérience et de l’histoire de chaque école : comment concevoir le rapport au Un de l’orientation lacanienne quand il n’y a pas de centre géographique vers lequel converger ? Comment traiter les tentations localistes du type «eux et nous» ? Comment situer l’implication des non membres dans l’école, celle des plus jeunes notamment ?

L’expérience de la NEL montre que cela rend d’autant plus nécessaire que le UN de l’Ecole se matérialise, à partir d’une puissance d’appel de l’Ecole, dans différents lieux. Comme J.-A. Miller l’a éclairé, l’Ecole peut ainsi s’incarner à différents moments, tantôt dans une ville, tantôt dans une autre.

Cette réflexion intervient en un temps où le moment présent impose partout à l’échelle planétaire le signifiant de la diversité. Il est intéressant de revenir aux sources américaines de cette notion avec ses implications au plan idéologique, éthique et politique. L’idéologie de la diversité a pris racine aux Etats-Unis dans la lutte contre les discriminations racialesqui a conduit à instituer des quotas ethniques, même si la Cour suprême a considéré qu’ils constituaient une entrave à l’égalité des citoyens devant la loi.

En France, l’importation de la discrimination positive dans les années 90 a fait débat, notamment du fait qu’elle s’avère attentatoire au droit républicain qui n’admet pas de considérer l’appartenance ethnique comme un critère discriminant légal. L’égalité devant la loi y est garantie pour chacun sans distinction d’origine, de race, de religion ou de croyance.

La diversité a cheminé dans l’époque et connu une mutation remarquable depuis les politiques d’intégration en termes de «droit à la différence» vers celles de la «promotion de la diversité» avec la prise en compte en droit et dans l’action publique d’identifications particulières. Dès 2004, le terme connaît une extension sémantique et pratique potentiellement sans limite, bien au delà de la dimension ethno-raciale et sur fond de facteurs de « diversification », dont le handicap, l’âge, le sexe, la résidence, la formation poursuivie, la « parentalité », l’apparence physique, etc. engendrant ainsi des communautés de plus en plus morcelées, une fragmentation à l’infini favorisant le séparatisme.

L’enjeu repose sur le sens à donner au terme d’intégration. Ne suppose-t-il pas une certaine distance à l’égard de ses origines familiales, culturelles, un effort d’abstraction dont l’enjeu essentiel est de s’inscrire dans le lien social qui n’est pas du même type que le groupe familial. Comme le soutient Blandine Kriegel, le contrat social est une intégration. On part d’une multitude assez indifférenciée, sans forcément de lien d’unité et c’est à consentir à se donner une loi commune, qu’un peuple se fabrique : « l’intégration, pour reprendre les distinctions philosophiques empruntées à Habermas, n’est pas éthique, on ne demande pas aux gens de vivre tous sous le même modèle, mais elle est politique ou civique, on leur demande de s’intégrer à un espace public. ». 

Dans le champ freudien, l’enjeu n’est-il-pas que le multiple ne soit pas séparé de l’unité. Quand tout travaille dans le sens de la divergence, la distance géographique, la diversité des langues et des cultures, il importe de se rassembler, non pas autour de la chaleur d’être ensemble, mais essentiellement autour des fins ultimes de notre action : une visée à distance de l’imaginaire, pas toute symbolique (règlements et statuts) mais bien réelle.

L’AMP a fait dès l’origine, le pari d’une orientation commune à ses différentes Écoles, un pari autour du gradus unique de l’AE. Ce pari n’impose pas aux écoles de règlement ou de vie standardisés. Il implique cependant un travail  d’homologation (admission, garantie, passe)  qui vise  à travailler à rebours de la divergence et en faveur d’une orientation Une donnée à la direction et à la conclusion de la cure. Cette orientation unitaire n’est pas pour autant synonyme du  triomphe de l’indifférenciation. Comme J.-A. Miller l’a souligné dans sa critique du mutualisme, elle est au contraire « un moyen de réintroduire la différence créatrice, un moyen de créer des différences ».  Elle assure la pénétration du nouveau, favorise la présence de la jeunesse. 

Les écoles qui s’étendent sur plusieurs pays comme la NEL ou la NLS et dans lesquelles la dispersion géographique et culturelle est trés grande, comportent une dimension de construction mobile, une combinatoire qui peut s’avérer riche d’enseignement, y compris pour les Écoles qui paraissent plus homogènes : comment fait-on place à la différence, au multiple dans une communauté solidaire et intégrée ? Intégration est à prendre au sens mathématique de « l’intégrale », et non pas de l’inclusion. L’inclusion absorbe les différences, tandis que dans une intégrale, chaque différentiel entre en fonction en même temps qu’il la constitue  :  c’est ensemble que les « épars désassortis » entrent en fonction pour parvenir à constituer une école proprement analytique portée par un eros unitaire. . .